L'art de prendre du recul
Jean Frémiot nous invite à découvrir une approche phénoménologique de la photographie. En effet, d’œuvre en œuvre, il plonge le spectateur dans une expérience aux frontières du réel et de la fiction et lui impose ainsi une prise de recul nécessaire.
A première vue, on observe deux pans dans la démarche de l’artiste. Le premier autour des jeux de trompe l’œil et le second autour de la notion de thérapéia comme défini par l’artiste, qui apparait progressivement depuis 2011 avec les premières présences humaines. Mais la dichotomie entre ces deux versants de son travail n’est évidemment pas aussi nette. L’artiste vient par-là questionner notre rapport à l’habitat, au territoire et au soin sous le prisme de l’expérience sensible. Comme en témoigne le choix du grand format et les jeux de cadrages. La dimension des photographies de Jean Frémiot est déterminée par le sujet représenté. Les espaces urbains, les architectures en chantier qu’il présente viennent troubler les sens du spectateur qui peut avoir besoin d’un temps pour saisir et expérimenter ce qu’il voit. Ainsi un paysage naturel à travers un mur en construction peut créer l’illusion d’un photomontage, ou encore le dos d’un porc ou d’une vache offrir une nouvelle ligne d’horizon. Dans la série Des Intimités, Jean Frémiot imagine une fiction documentaire autour du paysage social à travers un savant travail de clair-obscur où la présence humaine qui regarde toujours hors champ laissent apparaître une volonté de transcrire l’indicible.
Ce rapport physique au médium est fondamental dans la démarche de l’artiste, car il vient en filigrane témoigner ce que Foucault nomme le souci de soi ou « Cura sui » ; qui relève d’une forme d’entraînement, de position critique de l’attention, dont le principal indice serait le leitmotiv de la fenêtre, qui symbolise l’idée de lien, de faire connecter le monde sensible et le monde réel. La démarche de Jean Frémiot est une invitation à prendre de la distance, le recul nécessaire pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.
--- Madeleine Filippi - in Revue Laura Numéro 34 - 2e semestre 2023